L’UE prend les frontières africaines pour les siennes

Publié le par Survie 74

Article extrait du Plein droit n° 114
Claudia Charles et Pascaline Chappart
Juriste, Gisti et post-doctorante IRD/Urmis
 

Incapables d’accueillir dignement les personnes en quête de protection internationale, les États membres de l’Union européenne rejettent leurs responsabilités sur des pays toujours plus lointains, sommés de bloquer les candidats à la migration à leurs frontières. Cette politique d’externalisation du contrôle des frontières extérieures de l’UE ne cesse de se déployer à coup de millions d’euros dont les sous-traitants les plus méritants sont les premiers bénéficiaires. Mais à quel prix ?

La prétendue « crise migratoire » [1] permet à l’Union européenne (UE) et à ses États membres de légitimer une nouvelle expansion de la stratégie d’externalisation des politiques de contrôle des frontières, à l’œuvre depuis le début des années 2000. Ainsi, faute de consensus sur l’accueil des personnes en quête de protection, les pays européens font front commun pour reporter leur responsabilité sur des pays toujours plus lointains, en monnayant cette sous-traitance. Après s’être tournés, en 2015, vers la Turquie pour restreindre les arrivées de personnes depuis la frontière orientale de la Méditerranée, les représentants de l’UE se sont ensuite attelés à reproduire ce programme politique le long de la route dite de la Méditerranée centrale, qui mène de l’Afrique centrale en Libye.

En juin 2016, la Commission européenne s’est félicitée de l’endiguement des flux migratoires vers la Grèce, consécutif à l’application de la Déclaration UE-Turquie (voir l’article dans ce numéro) et a érigé la gestion de cette sous-traitance du contrôle migratoire en modèle politique à suivre : « […] la mise en œuvre de cette déclaration, y compris en ce qui concerne la réadmission de tous les ressortissants de pays tiers arrivant dans l’UE, a eu un effet immédiat sur les traversées de migrants entre la Turquie et la Grèce. Cela a démontré que la coopération internationale pouvait être efficace – en sauvant des vies en mer et en démantelant le modèle économique des passeurs [2]. » Dans cette logique, l’Union européenne et ses États membres ont déployé une force diplomatique sans précédent, cette fois à l’égard de pays africains, et notamment ceux considérés comme les principaux pays d’origine ou de transit des migrants qui prennent la route vers l’Europe en passant par la Libye.

Première étape de ce récent déploiement, le sommet de La Valette a réuni, les 11 et 12 novembre 2015, les chefs d’États africains et européens dans le cadre du dialogue euro-africain sur la migration et le développement engagé en 2006. La « crise » y est présentée par l’UE comme un « défi commun » ou encore une « responsabilité partagée » de l’Afrique et de l’Europe. L’idée qui sous-tend le plan d’action, adopté à cette occasion, est sans ambiguïté : sous couvert de quelques dispositions concernant le « développement » et la migration légale, ce sont surtout les aspects répressifs qui prévalent, en particulier le « retour » ou la « réadmission » des migrants en situation irrégulière.

Bons points et punitions

À l’issue du sommet, un « fonds fiduciaire d’urgence pour l’Afrique » a été institué par l’UE. Doté initialement de 1,8 milliard d’euros, il a ensuite augmenté à 2,8 milliards. Il concerne les pays de la région du Sahel et du lac Tchad, de la Corne et du Nord de l’Afrique [3]. Sont toutefois considérés comme « prioritaires » le Mali, le Niger, le Nigeria, le Sénégal et l’Éthiopie, du fait de leur position stratégique en tant que « pays de transit », sinon au vu du nombre de leurs ressortissants sans-papiers séjournant en Europe. D’après le programme de La Valette, ce financement doit contribuer au développement économique, à la gestion de la migration, à la stabilité et à « la bonne gouvernance » des pays visés. Le versement de l’aide est cependant subordonné à la coopération des pays tiers ; la Commission l’a annoncé sans détour : « Il convient d’intégrer des mesures incitatives, tant positives que négatives, dans la politique de développement de l’UE, en récompensant les pays se conformant à leur obligation internationale de réadmettre leurs propres ressortissants, les pays qui coopèrent dans la gestion des flux de migrants en situation irrégulière venant de pays tiers et les pays qui prennent des mesures pour héberger comme il se doit les personnes fuyant les conflits et persécutions. Ceux qui ne coopèrent pas en matière de réadmission et de retour doivent également en payer les conséquences. [4] » En soi, cette conditionnalité n’est pas une nouveauté, mais ce marchandage est clairement confirmé et vient de l’être à nouveau, en juin 2017, lors de l’adoption du « nouveau consensus européen sur le développement » [5] où il est largement question de programme de « sécurisation » et de contrôle migratoire.

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Extrait du Plein droit n° 114
« L’Europe et ses voisins : marchandages migratoires »

(octobre 2017, 10€)

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